Le 10 juillet 2021, le Vice-président du bureau, nouvellement élu de la section sud de la Fédération Nationale de Pêche (FNP), envoie au Ministre des Pêches et de l’Économie Maritime une demande d’accès à une zone de pêche des petits pélagiques, généralement réservée à la pêche artisanale (zone A ) et notamment aux pirogues à passerelles.
Or ces dernières embarcations sont désormais repoussées de la zone A, depuis le 15 juillet 2021, suite au message 00081 du Ministère des Pêches. Et malgré les protestations de la section Pêche Artisanale de la FNP, le ministère a refusé de revenir sur cette décision.
Parallèlement, le Ministre des Pêches accepte d’octroyer « au titre d’une pêche expérimentale dans sa phase pilote » une autorisation spéciale de pêche côtière aux poissons pélagiques – renouvelable, avec un contingentement d’un quota de 5.000 Tonnes – à la section sud que les arguments semblent avoir plus convaincu.
Le résultat attendu – selon le courrier-réponse du Ministre des Pêches à la requête, daté du 04 aout 2021 – est l’alimentation « exclusive » du marché local et du marché intérieur en poissons destinés à la consommation humaine, ainsi qu’aux usines de congélation établies à Nouakchott et dont une bonne fraction est en rupture de produits depuis quelques mois déjà.
Le 13 aout 2021, la section sud de la FNP dépose un acte sous seing privé, chez le notaire portant un contrat d’affrètement du navire turc Habibin Yavuz qui obtient donc la dérogation spéciale de pêche n°00095 le 19 aout 2021 lui permettant de pêcher dans cette zone si convoitée, à 0 miles de la frontière du Parc National du Banc d’Arguin (PNBA).
Le navire Habibin Yavuz mesure 40 m, pèse 930 tonnes et possède 2 moteurs d’une puissance équivalent à 4.260 chevaux et à une vitesse de 14,5 miles. Le navire aurait effectué entre le mois de mars 2020 et le mois d’Août 2021 plusieurs dizaines d’opérations de pêche dans les eaux mauritaniennes particulièrement autour du PNBA (selon la carte du Global Fishing Watch)
Cette autorisation d’accès à une zone sensible, dont la limite est directement adossée à la frontière de la plus importante aire marine protégée d’Afrique, pour un navire d’une si grande puissance provoque de vives inquiétudes dans le milieu de la conservation marine. Selon plusieurs experts et scientifiques, une seule incursion d’un tel navire dans une nurserie d’une si grande vulnérabilité, endommagerait irréversiblement les écosystèmes riches en biodiversité, en vasières et herbiers marins, déjà suffisamment impactés et fragilisés par les changements climatiques, par les multiples formes de pollutions ainsi que par les convoitises des différents lobbies du secteur de la pêche.
Or les risques d’une telle incursion, accidentelle ou provoquée, sont multipliés par l’octroi de cette « autorisation spéciale et renouvelable » et par l’absence d’une zone tampon qui donnerait une certaine marge de manœuvre et d’alerte aux autorités en charge de la surveillance du Parc pour stopper le navire à temps !
Il serait peut-être utile de rappeler ici, les résultats de l’étude commanditée par le gouvernement mauritanien pour l’évaluation des services écosystémiques du Banc d’Arguin, publiée en décembre 2018.
Cette étude, première du genre portant sur cette vaste aire protégée, à la fois marine et terrestre, a été réalisée par un consortium de consultants et financée par le FFEM au profit du parc national du PNBA.
Selon cette étude, la valeur annuelle des principaux services de régulation et d’approvisionnement du PNBA est estimée à 8,1 milliards MRU par an soit 198,8 millions €/an. Les deux services les plus importants sont ceux relatifs à la séquestration du carbone fournie par les herbiers (3,3 milliards MRU) et à la contribution du PNBA aux pêcheries de la ZEE de la Mauritanie (3 milliards MRU).
Parmi les autres services de support et de régulation évalués, ceux de nurserie et de bio remédiation affichent des valeurs monétaires respectives de 92 et 49 millions MRU/an.
Le service de prélèvement par la flotte de pêche artisanale atteint 52 millions MRU/an. La valeur de non usage du PNBA se situe à 1,6 milliard MRU d’après la perception de l’importance accordée aux différents services écosystémiques par les Mauritaniens. Les services évalués concernent essentiellement la partie maritime du PNBA qui couvre 5400 km2.
L’étude met aussi en avant le rôle fondamental du PNBA pour la pêche opérant dans la Zone Économique Exclusive de la Mauritanie, pour la séquestration du carbone atmosphérique et dissous, pour les populations d’oiseaux et les services qu’ils apportent et pour l’identité Imraguen.
La part de CO2 séquestré annuellement par les écosystèmes marins du parc national du banc d’Arguin atteint 732 057 tCO2eq soit 11 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) du pays.
Outre la valeur économique des principaux services rendus par les écosystèmes du banc d’Arguin, la préservation des milieux naturels et de la faune associée au PNBA est favorable à l’atteinte des objectifs des différentes conventions et traités internationaux dont la Mauritanie est signataire.
Le Ministre des Pêches et de l’Économie Maritime, dont la préoccupation est tout à fait légitime, devrait trouver d’autres solutions pour approvisionner le marché mauritanien en poissons frais – absolument nécessaire à la sécurité alimentaire ; des solutions en concertation avec tous les acteurs de la pêche et ceux de la mer ; mais aussi des solutions qui ne prennent pas en otage l’avenir du pays.
Le Gouvernement mauritanien devrait se ressaisir et prendre plus au sérieux la protection de son patrimoine naturel (notamment le PNBA, le PND, ChottBoul et la Baie de l’Etoile) – fortement dégradé et dangereusement menacé par l’absence de coordination entre ses différents départements et par l’absence d’une volonté ferme et rigoureuse de faire respecter la loi – en particulier celles relatives à la réalisation des études d’impacts environnementaux et sociaux de tous ses projets. Des études qui feraient gagner énormément de temps, d’énergie et d’argent à tous les secteurs de développement du pays.